Dans les rues de la commune que l??aéroport de Roissy a transformée en village-fantôme
??On ne veut pas rester ici. Il n??y a pas d??épicerie. Pas de boulanger. Rien !?, s??exclame Maïmouna quand on lui demande ce qu??elle pense du Vieux-Pays. Comme d??autres et faute de mieux, la Mauritanienne, son mari et ses deux enfants ont emménagé il y a un an dans le village déserté et bruyant.
Il y a bien longtemps que les derniers commerces du petit bourg ont mis la clé sous la porte. Sur la place principale, les rideaux de fer rouillés de l??épicerie et du bar sont définitivement baissés.
Le bar et l??épicerie du village ont mis la clé sous la porte depuis bien longtemps. Photo : Julie Guérineau
S??aventurer dans le Vieux-Pays, c??est mettre le pied dans un village des sixties qui aurait survécu à l??Apocalypse. Dès l??entrée, une dizaine de maisons murées aux toitures affaissées dépérissent le long de la bien nommée rue Brûlée, colonne vertébrale du village. Les jardins abandonnés ont des airs de jungles impénétrables. Seul le grondement assourdissant des avions qui survolent le clocher rappelle au touriste égaré qu??on a changé de millénaire. Plus haut, la grande maison bourgeoise qui faisait la fierté des habitants est ouverte à tous les vents. Sa façade est éventrée.
??Le pire, c??est le bruit des avions?
? 100 mètres du ??château?, la petite maison que Maïmouna loue 800? par mois, ruelle des Bourdes, n??est pas beaucoup plus fringante. ??Les escaliers sont vermoulus. C??est sale. Je suis obligée de dormir dans le salon avec mon mari et mes deux enfants. Les autres pièces sont trop abîmées?, déplore la mère de famille. ? la naissance de son deuxième enfant, elle a dû quitter l??appartement parisien de sa tante. Mais impossible de se loger dans la capitale.
Comme d??autres nouveaux habitants du village, la petite maison décrépie que la famille occupe aujourd??hui est le seul logement ??abordable? qu??elle ait trouvé. ??Le pire, c??est le bruit des avions. Les fenêtres ne sont pas isolées et les enfants ont beaucoup de mal à dormir?, raconte Maïmouna, bien décidée à partir.
Chaque jour, plus de 400 avions décollent ou atterrissent sur les pistes nord de Roissy et survolent le village à basse altitude. Même la nuit, pas de répit. Les vols de fret et les tests de réacteurs se poursuivent jusqu??au petit matin. ??Il n??y a pas de période de carence à Roissy?, explique Antoine Perez Munoz, chargé des relations avec les collectivités territoriales à Bruitparif.
Selon l??observatoire du bruit en ?le-de-France, chaque nuit, près de 85 avions dépassent le seuil de 55 décibels recommandé par l??Organisation mondiale de la santé, soit près d??un toutes les cinq minutes. Et la fréquence des vols augmente dans la journée et pendant l??été.
De 1000 à 400 habitants
Le déclin du village du Val-d??Oise s??est amorcé dans les années 50. ? l??époque, l??urbanisme de masse fait rage et le baby-boom pousse Goussainville, à 25 km au nord de Paris, à s??agrandir. Une ville nouvelle est érigée à trois kilomètres du bourg historique et la mairie s??y installe dès 1964. Le village n??est plus qu??un quartier excentré : le Vieux-Pays.
Avec le développement des transports, de grands axes routiers et des voies ferrées prennent le village en étau et commencent à faire monter le volume. Coup de grâce, le gouvernement décide d??implanter le nouvel aéroport Charles-de-Gaulle à Roissy, deux kilomètres plus au nord. L??ouverture est prévue pour 1974. Et le Vieux-Pays est dans l??alignement des pistes.
Pierre Murillo, peintre et cofondateur de l??Association de défense et de sauvegarde du Vieux-Pays, a emménagé en 1968 dans le presbytère du village. Avec sa femme, Colette, il a vu le bourg se vider et chuter de 1000 à 400 habitants. Pourtant, il n??a jamais envisagé de partir, même lorsque selon lui, Aéroports de Paris (ADP) a tout fait pour faire fuir les villageois. Nous sommes alors au début des années 70, à l??époque de la construction de l??aéroport de Roissy.
??Ils ont volontairement affolé les gens?
Officiellement, ADP devait acquérir les habitations abandonnées pour les détruire. Mais il était de notoriété publique qu??elles étaient en fait intouchables de par leur emplacement. Protégées par le périmètre de 500 mètres autour de l??église, classée.
??ADP [Aéroports de Paris, ndlr.] a volontairement affolé les gens pour les faire partir et y installer ses salariés en leur disant que ce serait invivable?, assure Pierre Murillo.
??Un soir, des techniciens de l??aéroport nous ont réunis dans la salle des fêtes et ont diffusé le bruit d??un réacteur d??avion sur deux énormes baffles, raconte-t-il. Mais il y avait deux fois trop de décibels et ils prétendaient qu??il faudrait boucher les trous de serrure pour que l??isolation soit efficace. En fait, un double vitrage suffit.?
??Les avions devaient larguer leur kérosène sur le village?
Selon Pierre Murillo, ADP a aussi brandi la menace de la pollution de l??air pour effaroucher les habitants : ??Les techniciens nous ont dit que les avions largueraient leur excédent de kérosène sur le village.?
Une affirmation qui étonne Hervé Briand, ancien contrôleur aérien de Roissy et bénévole à la Maison de l??environnement de l??aéroport : ??Il est impensable que des avions aient délesté leur carburant au-dessus d??un village. Même dans les années 70. Et si ça avait vraiment été le cas, ils ne l??auraient pas dit !? Sollicité à plusieurs reprises, ADP n??a pas donné suite à nos demandes d??entretien.
D??autres ont préféré quitter le village. Progressivement, Aéroports de Paris a racheté 137 maisons. Mais aucun employé ne s??y est jamais installé. Les habitations ont été murées, une loi interdisant désormais l??installation de nouveaux habitants dans la partie du village la plus exposée au bruit.